Être mère en prison, et après : une maternité sous surveillance

3 juillet, 2025

La prison est rarement pensée pour les femmes. Elle l’est encore moins pour les mères. Derrière les murs, elles vivent une double peine : la privation de liberté, et la séparation souvent brutale d’avec leurs enfants. Et une fois sorties, elles doivent non seulement se réinsérer dans la société, mais aussi, souvent, reconstruire ou rétablir leur rôle de mère. Un parcours semé d’embûches, de stigmatisation, mais aussi de résilience.

Une détention marquée par la séparation

Pour une mère, l’entrée en prison entraîne un choc immédiat : la séparation d’avec ses enfants. La culpabilité est immense, l’angoisse constante. Chaque appel devient un moment suspendu entre espoir et douleur. Chaque visite, une épreuve logistique et émotionnelle. Contrairement aux autres femmes détenues, les mères ne vivent pas la détention seules : elles la vivent en pensant à l’extérieur, à ceux qu’elles ont laissés, parfois sans solution.

Selon le Service correctionnel du Canada, plus de 60 % des femmes incarcérées sont mères d’au moins un enfant. Pourtant, très peu de dispositifs institutionnels tiennent compte de cette réalité, tant au moment de l’incarcération qu’à la sortie.

Dans bien des cas, les enfants sont placés en famille d’accueil ou en institution. Les liens familiaux se distendent. Les jugements sociaux s’installent. La société n’a que peu d’empathie pour les femmes qui ont « failli » dans leur rôle maternel, encore moins lorsqu’elles sont passées par la case prison. Là où l’on accorde souvent aux pères détenus une forme de présomption de réhabilitation possible, on exige des mères qu’elles prouvent, sans cesse, qu’elles méritent encore ce titre.

Réinsertion sociale : une complexité accrue pour les mères

Après la prison, la réinsertion est une course à obstacles. Mais pour une mère, elle l’est doublement. Il ne s’agit pas seulement de retrouver un emploi ou un logement : il faut prouver qu’on est à nouveau « apte » à élever ses enfants. Cela implique des démarches auprès des services sociaux, la reconstruction d’un lien parental parfois abîmé, et la conformité à des exigences strictes — sous peine de perdre, ou de ne pas retrouver, la garde.

Les femmes dans cette situation sont soumises à une pression considérable : se loger dans un espace adapté, être financièrement stable, démontrer leur « bonne conduite », tout en gérant leur propre santé mentale et les séquelles de la détention. Les ressources pour les accompagner sont encore trop rares et souvent mal adaptées. Très peu de programmes tiennent compte de la parentalité dans les parcours de réinsertion.

Des doubles standards bien ancrés

Une femme incarcérée est immédiatement jugée sur son rôle de mère : a-t-elle pensé à ses enfants ? les a-t-elle abandonnés ? pourquoi n’a-t-elle pas mieux agi pour eux ? Ces questions, rarement posées aux pères incarcérés, révèlent une profonde inégalité dans la façon dont la société perçoit la parentalité. On attend des femmes qu’elles soient d’abord et avant tout des mères, même dans les pires contextes. Alors que l’on parle de « réinsertion » pour les hommes, on exige des femmes une sorte de rachat moral et affectif.

Cette norme genrée pèse lourdement sur les mères en détention. Leur réinsertion ne se joue pas seulement dans l’espace public, mais dans l’intimité familiale, sous regard constant.

Agir pour le lien mère-enfant : un droit de l’enfant

Au sein de notre organisation, nous intervenons activement à l’unité mère-enfant de l’établissement Leclerc de Laval. Nous accompagnons les séjours mère-enfant et soutenons les femmes dans le maintien de ce lien essentiel. Si cela est souhaitable et conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, nous faisons tout pour favoriser la cohabitation, la continuité affective et la parentalité en détention.

Il ne s’agit pas de « faire plaisir à la mère » ou d’atténuer sa peine. Le maintien du lien mère-enfant est d’abord un droit de l’enfant, reconnu par plusieurs cadres internationaux. Ce droit peut devenir, pour la mère, un levier de mobilisation puissant, peut-être le plus puissant de tous. Le désir de préserver ou de retrouver ce lien pousse de nombreuses femmes à s’impliquer activement dans leur parcours de réinsertion.

Mais ce lien n’est pas toujours possible, ni souhaitable. Dans certains cas, la rupture est protectrice. L’évaluation doit se faire avec rigueur, sensibilité et dans une logique de protection intégrée de l’enfant et de la mère.

Une stigmatisation persistante

Être une ex-détenue est déjà lourd à porter dans l’espace public. Être une ex-détenue et une mère l’est encore plus. Le passé carcéral jette une ombre durable : suspicion, jugements, contrôle social informel. Les femmes racontent devoir « prouver » leur valeur en permanence. On les scrute, on les teste, on attend d’elles qu’elles fassent la démonstration constante de leur fiabilité.

La maternité devient alors un territoire sous surveillance, même une fois la peine purgée. Le regard des institutions, des proches, parfois des enfants eux-mêmes, est imprégné de ce passé. Et pourtant, de nombreuses femmes parviennent à reconstruire un lien sincère, stable et transformateur avec leurs enfants. À condition qu’on leur en donne les moyens.

Des modèles inspirants, mais encore trop rares

Certains pays ont mis en place des programmes qui permettent aux enfants de rester avec leur mère en détention pendant les premières années de vie. En Allemagne ou au Royaume-Uni, des unités mère-bébé offrent des cadres de vie adaptés, avec soutien éducatif et psychosocial. En Norvège, des prisons ouvertes permettent de préserver la continuité familiale.

Au Canada, les dispositifs de ce type sont très limités. Malgré les besoins, il n’existe pas de programme national structuré de cohabitation mère-enfant en détention, et l’accès à des ressources communautaires à la sortie reste fragmenté et inégal.

Une identité à reconstruire

Malgré tout, de nombreuses femmes s’accrochent. Certaines trouvent dans la maternité une source de motivation, une force qui les pousse à se reconstruire. La résilience est là : dans la capacité à demander de l’aide, à s’impliquer dans des démarches, à croire encore en soi malgré le regard social.

Mais pour que cette résilience donne des fruits durables, il faut que les structures suivent. Il faut que la société accepte l’idée qu’une femme peut avoir fauté, avoir été détenue, et demeurer une mère aimante, capable, et digne de confiance.

Et maintenant ?

Être mère en prison, ce n’est pas seulement vivre la détention différemment. C’est devoir se reconstruire sur deux fronts : comme citoyenne et comme parent. Et cela, sans les outils, le soutien ou la reconnaissance nécessaires.

Face à cette réalité, les réponses doivent être multiples :

  • Intégrer la parentalité dans les programmes de réinsertion.
  • Offrir des logements adaptés à la réunification familiale.
  • Former les intervenants et intervenantes à l’intersection entre détention, genre et parentalité.
  • Favoriser les dispositifs de cohabitation mère-enfant quand l’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur de la démarche.
  • Et surtout, reconnaître que soutenir le lien mère-enfant, c’est d’abord protéger les droits de l’enfant, tout en offrant à la mère une chance réelle de transformation.